Les plaignantes, deux femmes d’âge mûr, étudiaient au Collège du Yukon. Elles avaient commencé leur programme d’études alors qu’elles avaient la cinquantaine. Dès le début du programme, il y avait eu des problèmes avec leurs devoirs. Leurs enseignants au Collège du Yukon (les intimés) trouvaient, par exemple, que leurs travaux se ressemblaient étrangement. Aussi avaient-ils organisé des rencontres avec elles. Pendant cette période, l’une des plaignantes a été hospitalisée pour des troubles cardiaques causés par le stress. Au fil de plusieurs rencontres, les intimés se sont employés à établir un plan d’enseignement visant à réduire le stress ressenti par les plaignantes. Ce plan consistait à étaler le programme d’un an sur trois ou quatre semestres. Au cours de cette période, il y a eu des problèmes de communication entre les plaignantes et les intimés. Celles-ci ont déclaré qu’elles se sentaient de plus en plus harcelées et sous pression. Elles ont donc fait mine d’accepter les suggestions des intimés concernant leur parcours scolaire, mais en réalité, elles avaient bien l’intention de terminer le programme en un an. Les intimés, pour leur part, croyaient qu’elles suivraient le plan d’enseignement proposé.
Les plaignantes ont déposé une plainte à la Commission des droits de la personne du Yukon (la Commission) contre le Collège du Yukon et leurs enseignants, soutenant que ces derniers avaient fait preuve à leur endroit de discrimination fondée sur l’âge, la situation de famille et l’incapacité physique ou mentale. Elles soutenaient également que les intimés les avaient harcelées pendant tout ce temps.
Pour prendre sa décision, le Conseil d’arbitrage de la Commission des droits de la personne du Yukon (le Conseil) a examiné les questions suivantes.
- Les intimés ont-ils fait preuve de discrimination à l’endroit des plaignantes du fait de leur âge, de leur situation de famille ou d’une incapacité?
- Si oui, ont-ils refusé aux plaignantes les mesures d’adaptation qu’elles demandaient?
- Les intimés ont-ils harcelé les plaignantes pour un motif illicite?
- Si oui, ont-ils refusé aux plaignantes les mesures d’adaptation qu’elles demandaient?
Le Conseil a commencé par déterminer si les intimés avaient fait preuve de discrimination à l’endroit des plaignantes. Premièrement, le Conseil a jugé que les plaignantes avaient été traitées différemment ou défavorablement en raison de leur âge. Si elles étaient les plus âgées de leur groupe, la plupart des étudiants de leur programme étaient dans la trentaine ou la quarantaine, et onze étudiants étaient âgés de plus de 50 ans. Comme l’a dit l’une d’elles, ce programme d’études s’adressait à des adultes.
Ensuite, le Conseil a jugé que les plaignantes n’avaient pas été traitées différemment du fait de leur situation de famille. Les plaignantes soutenaient avoir fait l’objet de discrimination parce qu’elles étaient jumelles. Elles affirmaient, par exemple, qu’on leur demandait pour cette raison de s’asseoir avec d’autres étudiants pendant les activités de groupe. Le Conseil a accepté les explications des enseignants selon lesquelles cette pratique faisait partie de méthodes d’enseignement du programme, qu’elle visait à favoriser la diversité pendant les activités et qu’ils encourageaient aussi d’autres élèves à se mêler à différents groupes. Le Conseil a ensuite cherché à déterminer si les enseignants avaient fait preuve de discrimination à l’endroit des plaignantes en leur disant de faire leurs travaux chacune de leur côté et il a conclu que ce n’était pas le cas. On pouvait facilement voir les ressemblances entre les devoirs et il était raisonnable de chercher à éviter qu’elles collaborent sur des travaux évalués indépendamment.
Ensuite, le Conseil a cherché à déterminer si les plaignantes avaient été traitées différemment du fait de leurs incapacités cognitives et physiques. Là encore, il a jugé que ce n’était pas le cas. Les plaignantes avaient dit à certaines personnes au Collège qu’au moins l’une d’elles avait un trouble d’apprentissage, qu’elles appelaient « dyslexie des nombres ». Elles en parlaient souvent pour expliquer leurs difficultés scolaires. Le Conseil ne disposait d’aucune preuve démontrant que les intimés avaient fait preuve de discrimination à l’endroit des plaignantes ou qu’ils les avaient traitées défavorablement en raison d’une dyslexie perçue. Au contraire, le Collège les avait encouragées à aller passer des examens médicaux pour déterminer les mesures d’adaptation qui leur conviendraient le mieux. Toutefois, le Conseil a déterminé par la suite que les intimés avaient fait preuve de discrimination fondée sur une incapacité physique en empêchant les plaignantes de terminer le programme en un an. Pour parvenir à cette conclusion, le Conseil s’est employé à répondre aux questions suivantes.
- Le Collège a-t-il empêché les plaignantes de terminer le programme en un an?
- Les a-t-il empêchées de le faire en raison de leurs incapacités physiques?
- Les a-t-il empêchées de poursuivre le programme?
Premièrement, le Conseil a jugé que le Collège avait bien empêché les plaignantes de terminer le programme en un an. Au début du programme, les plaignantes avaient le droit de s’inscrire à tous les cours requis pour l’obtention du diplôme. En revanche, lorsqu’elles ont voulu s’inscrire à temps plein, elles n’y ont pas été autorisées parce qu’on présumait qu’elles suivraient un horaire de cours allégé. Deuxièmement, le Conseil a déterminé qu’on les avait empêchées de poursuivre normalement le programme parce que les intimés pensaient qu’elles étaient incapables de le suivre à temps plein pour des raisons de capacité physique. En effet, au vu de leurs antécédents d’absentéisme, d’hospitalisation et de troubles de santé avoués, les enseignants estimaient que l’état physique des plaignantes constituait un obstacle à leur réussite.
Pour conclure son analyse sur la première question, le Conseil a rejeté les allégations des plaignantes selon lesquelles les intimés n’avaient pas respecté leurs besoins. Après tout, elles avaient indiqué à plusieurs reprises qu’elles ne voulaient pas de mesures spéciales. Elles ne pouvaient donc pas accuser par la suite les intimés de ne pas avoir pris de telles mesures.
Le Conseil s’est ensuite penché sur la deuxième question. Il a d’abord cherché à déterminer si les enseignants avaient fait preuve de harcèlement, c’est-à-dire s’ils avaient fait des remarques ou des gestes vexatoires, dont ils savaient ou auraient raisonnablement dû savoir qu’ils étaient importuns. En l’occurrence, les enseignants avaient insisté pour que les plaignantes suivent un parcours scolaire différent du parcours habituel d’un an. Ils avaient organisé des rencontres et refusaient qu’elles s’inscrivent à temps plein. Même s’ils avaient les meilleures intentions du monde, ils n’ont pas tenu compte des volontés des plaignantes. Néanmoins, le Conseil n’a pas conclu que les enseignants s’étaient livrés à du harcèlement, car ils croyaient agir conformément aux directives de l’administration du Collège. Ensuite, le Conseil a cherché à savoir si le Collège pouvait être tenu pour responsable du harcèlement. Il a constaté que l’administration du Collège n’avait pas de procédure formelle pour gérer les plaintes pour atteinte aux droits de la personne. Même si la situation exigeait la mise en branle d’un processus de résolution des conflits entre les étudiantes et leurs enseignants, le doyen s’est abstenu d’intervenir. En ce sens, le Collège a manqué à son devoir autant envers les enseignants qu’envers les plaignantes. Aussi le Conseil a-t-il conclu que le Collège était responsable de ne pas avoir tenté de régler la question du harcèlement.
Pour conclure son analyse sur la deuxième question, le Conseil a rejeté les allégations des plaignantes selon lesquelles les intimés n’avaient pas respecté leurs besoins, car elles avaient négligé de communiquer et de collaborer avec le personnel pendant la dernière phase de préparation de leur plan d’enseignement.
Le Conseil a ordonné au Collège ce qui suit :
- verser à chaque plaignante 10 000 $ en dommages-intérêts pour atteinte à la dignité, aux sentiments et à l’estime de soi;
- verser 30 000 $ aux plaignantes pour leurs frais juridiques;
- établir une procédure de gestion des plaintes pour atteinte aux droits de la personne et offrir de la formation, de l’encadrement et de l’information à ses employés.