**Remarque : Le texte qui suit contient du langage vulgaire qui pourrait offenser certains lecteurs.

Une plainte a été déposée devant la Commission des droits de la personne du Yukon (la Commission). Le plaignant affirmait que la Ville de Faro (la Ville) avait fait preuve à son endroit de discrimination fondée sur l’« ascendance, y compris la couleur et la race » lors du processus d’embauche d’un nouvel administrateur général pour la Ville. Par conséquent, il soutenait que l’intimé contrevenait aux dispositions suivantes de la Loi sur les droits de la personne du Yukon (la Loi) :

  1. 1) l’alinéa 7a), qui interdit la discrimination fondée sur l’ascendance, y compris la couleur et la race;
  2. 2) l’alinéa 9b), qui interdit la discrimination relativement à toute circonstance liée à l’emploi ou à une demande d’emploi.

Les faits en cause sont les suivants.

  • La petite amie du plaignant a annoncé au conseiller municipal V. que son amoureux songeait à poser sa candidature au poste d’administrateur général.
  • Par la suite, une collègue de celle-ci lui aurait dit que le conseiller municipal B. avait affirmé quelque chose comme : « On n’a pas besoin d’individus de son espèce pour représenter la Ville. »
  • Le concours pour le poste d’administrateur général a pris fin et le plaignant n’a pas postulé. La Ville a offert le poste à deux candidats. Les deux l’ont refusé. Un nouveau concours a été lancé.
  • La petite amie du plaignant a communiqué avec la mairesse et l’a informée que le plaignant souhaitait en savoir plus sur ce poste. Plusieurs jours plus tard, le plaignant a déjeuné avec la mairesse.
  • Le plaignant et sa petite amie ont ensuite organisé une rencontre avec les conseillers municipaux V. et B., au cours de laquelle il leur a remis une version abrégée de son curriculum vitae. Il les a informés qu’il pouvait leur fournir la version complète s’ils le souhaitaient, mais ils n’ont pas donné suite à sa proposition.
  • Pendant cette période, une autre témoin a affirmé avoir entendu le conseiller municipal B. dire : « Il est hors de question qu’un p**ain d’Indien qui se tresse les cheveux devienne notre administrateur général. » La petite amie du plaignant en a été informée et a relayé l’information au plaignant.
  • Finalement, le poste a été accordé à une personne non autochtone.
  • Le plaignant a alors porté plainte à la Commission, qui a saisi le Conseil d’arbitrage de la Commission des droits de la personne du Yukon (le Conseil) de l’affaire.

Premièrement, le Conseil a examiné s’il y avait eu discrimination fondée de prime abord. Autrement dit, à première vue, ce cas semblait-il en être un de discrimination? La Commission a avancé deux critères juridiques distincts pour établir l’existence d’une discrimination prima facie.

Le premier est énoncé dans l’affaire Radek c. Henderson Development (Canada) Ltd. Selon ce critère, le plaignant doit être en mesure de prouver les éléments suivants :

  1. il est membre d’un ou plusieurs groupes visés à l’article 7 de la Loi, qui établit les motifs de distinction illicites;
  2. on lui a refusé un service ou on lui a réservé un traitement différent relativement à un service, et il en a subi quelque préjudice;
  3. son appartenance au groupe visé par la Loi a constitué un facteur dans le fait qu’on lui a refusé un service ou réservé un traitement différent.

Si le critère de Radek a été établi en Colombie-Britannique, le Conseil a déclaré qu’il trouvait également son application en droit au Yukon et qu’il était pertinent dans le contexte de l’emploi.

D’abord, le Conseil a conclu que le plaignant étant un Autochtone, il était membre d’un groupe visé, à savoir celui de l’alinéa 7a) de la Loi. Ensuite, il a cherché à savoir si le plaignant avait été traité de façon différente et défavorable. La Commission soutenait que le plaignant avait reçu un traitement différent et défavorable à trois occasions : 1) parce qu’il avait dû rencontrer des membres du conseil municipal avant de poser sa candidature; 2) parce qu’on ne lui avait pas demandé son curriculum complet; 3) parce qu’on avait rejeté sa candidature sans lui accorder d’entrevue. Le Conseil a conclu que les rencontres préalables à la candidature avaient eu lieu à la demande du plaignant ou de sa petite amie. Si l’on peut juger qu’elles étaient peu orthodoxes, rien ne donnait à penser au Conseil que le plaignant avait fait l’objet d’un traitement défavorable à cette occasion. Rien n’indiquait non plus que ces rencontres avaient eu une influence sur le processus de sélection officiel. En outre, le Conseil n’a pas jugé inhabituel que le conseil municipal n’ait pas demandé le curriculum complet du plaignant. D’autres candidats avaient proposé de fournir plus de renseignements au besoin, mais le conseil n’avait donné suite à aucune de ces propositions. Le Conseil a donc jugé que le plaignant n’avait pas été traité différemment des autres candidats lors du processus de sélection. Il était évident que sa candidature avait été examinée en même temps que les autres (qui n’avaient pas passé l’étape de présélection). Enfin, le Conseil a cherché à déterminer si l’ascendance autochtone du plaignant avait eu une influence sur la façon dont il avait été traité. Certes, il ne manquait pas de preuves quant aux préjugés du conseiller municipal à l’endroit des peuples autochtones, mais elles ne suffisaient pas à démontrer que ces préjugés avaient eu une influence sur la décision du conseil municipal d’écarter la candidature du plaignant. Par conséquent, le Conseil n’a pas conclu à un cas apparemment fondé de discrimination en vertu du critère de Radek.

Le deuxième critère recommandé au Conseil était énoncé dans Shakes c. Rex Pak Ltd. Le critère de Shakes exige que les éléments suivants soient réunis :

  1. le plaignant était qualifié pour l’emploi en question;
  2. il n’a pas été embauché;
  3. une autre personne, pas mieux qualifiée, mais dépourvue de l’élément distinctif dont il est question dans la plainte (c.-à-d. l’ascendance), a obtenu l’emploi.

Le Conseil a donc appliqué le critère de Shakes à cette affaire. À son avis, d’après les qualifications exigées dans la description d’emploi, le plaignant aurait pu avoir les qualifications requises pour le poste. Quoi qu’il en soit, il est évident qu’il n’a pas été engagé. Pour évaluer le troisième aspect du critère, le Conseil a passé en revue les notes manuscrites des conseillers ayant pris part à la décision. Il a déterminé que la candidature du plaignant avait été rejetée pour des critères liés à la description d’emploi et non pas en raison de préjugés à l’endroit des Autochtones. La plainte a donc également échoué au critère de Shakes.

Finalement, le Conseil a conclu à l’absence de discrimination relativement à toute circonstance liée à l’emploi ou à une demande d’emploi. Par conséquent, la plainte a été rejetée.