**Remarque : Ce document contient de l’information sur des violences sexuelles qui pourrait offenser certains lecteurs.

La plaignante, une joueuse de basketball, était étudiante au secondaire. Monsieur H. était son entraîneur.
Monsieur H. était également propriétaire majoritaire d’un magasin d’articles et de vêtements de sport. Un jour, la plaignante a écrit un courriel à monsieur H. pour lui faire savoir qu’elle souhaitait y travailler. Le gérant du magasin a communiqué avec elle et l’a engagée comme vendeuse à temps partiel. Pendant cette période, la plaignante et monsieur H. ont communiqué par courriel et messages textes. À un moment, les discussions ont fini par dévier du basketball pour prendre une tournure plus personnelle. La plaignante a dit que ces propos étaient mal venus. Elle a également affirmé que monsieur H. avait tenté des rapprochements physiques, par exemple une tape sur l’épaule, une caresse sur le bras ou une tape sur les fesses. Elle soutenait qu’elle avait quitté son emploi à cause de ce comportement.

La plaignante a porté plainte à la Commission des droits de la personne du Yukon (la Commission) contre monsieur H. et le magasin d’articles et de vêtements de sport (la société intimée). Elle soutenait qu’en lui faisant subir du harcèlement sexuel, monsieur H. et la société intimée avaient fait preuve à son endroit de discrimination fondée sur le sexe et contrevenaient ainsi à la Loi sur les droits de la personne du Yukon (la Loi). Elle soutenait en outre que cette discrimination s’était produite dans des circonstances liées à son travail.

Le Conseil d’arbitrage de la Commission des droits de la personne du Yukon (le Conseil) a été saisi de l’affaire. Il a déterminé que le harcèlement sexuel constituait la question centrale de cette cause. Dans son analyse, le Conseil s’est référé au jugement de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Janzen c. Platy Enterprises Ltd, dans laquelle elle avait affirmé que le harcèlement sexuel constitue une forme de discrimination sexuelle. Dans Janzen, le harcèlement sexuel s’entend d’« une pratique de nature sexuelle qui compromet l’emploi d’un individu, a des effets négatifs sur l’exécution de son travail ou porte atteinte à sa dignité personnelle ». Le Conseil a donc d’abord cherché à déterminer s’il s’agissait d’une question de harcèlement sexuel fondée de prime abord. Autrement dit, à première vue, ce cas semblait-il en être un de harcèlement sexuel? En l’occurrence, l’allégation de la plaignante selon laquelle les gestes de l’intimé étaient importuns ainsi que les preuves des remarques importunes à caractère sexuel qu’elle avait endurées pendant environ deux semaines faisaient de cette affaire une question de harcèlement sexuel fondée de prime abord.

Ensuite, le Conseil a appliqué le critère juridique servant à établir l’existence de harcèlement sexuel. Les quatre éléments de ce critère proviennent de l’affaire Janzen :

  1. les remarques ou gestes doivent être importuns;
  2. ils doivent avoir une connotation sexuelle;
  3. ils doivent être répétés ou suffisamment graves pour en faire du harcèlement;
  4. ils doivent être dénoncés à l’employeur.

D’abord, le Conseil a déterminé que les actions de monsieur H. étaient importunes. Selon la jurisprudence canadienne, les remarques ou gestes « importuns » s’entendent d’un comportement non encouragé et considéré comme indésirable. Dans l’affaire qui nous intéresse, la plaignante avait clairement témoigné que le comportement de l’intimé était « importun ». Si rien n’indiquait qu’elle le lui avait fait savoir, elle avait tout de même quitté son emploi à cause de ce comportement. De toute façon, les preuves montraient que monsieur H. s’était excusé de sa conduite à la plaignante dans une série de courriels et de textos.

Deuxièmement, le Conseil a déterminé que les remarques ou gestes avaient une connotation sexuelle. Pour ce faire, le Conseil s’est servi du critère de la « personne raisonnable », selon lequel cette « personne raisonnable » correspond à tout membre hypothétique de la société doté d’une faculté de raisonnement, d’une prudence, d’une perspicacité et d’une intelligence moyennes. En l’occurrence, le Conseil s’est demandé si une personne raisonnable verrait dans le comportement de monsieur H. une connotation sexuelle. À la lumière des preuves qui lui ont été présentées, le Conseil a répondu à cette question par l’affirmative.

Ensuite, le Conseil a déterminé que le comportement de monsieur H. était suffisamment répétitif pour constituer du harcèlement. Même si les communications avaient eu lieu sur une période brève, le Conseil a jugé qu’elles étaient néanmoins soutenues. Enfin, le Conseil a cherché à savoir si la société intimée avait été informée du comportement, un facteur de taille à considérer étant donné que le but premier du droit relatif aux droits de la personne – dont relève la Loi sur les droits de la personne du Yukon – n’est pas de punir, mais bien de redresser un tort. En l’occurrence, rien n’indiquait que la plaignante en avait parlé à son gérant ou à monsieur H. lui-même. Par conséquent, le Conseil a conclu que la société intimée ne pouvait être tenue responsable parce qu’elle n’avait pas eu la chance de donner suite aux actes reprochés. En revanche, il a conclu à la responsabilité de monsieur H. dans cette affaire de harcèlement sexuel.

Pour arriver à cette décision, le Conseil a pris en compte d’importants facteurs liés à la relation entre la plaignante et monsieur H., notamment le déséquilibre de pouvoir et la différence d’âge entre eux. Il a également pris en considération le manque de maturité chez les adolescents. S’appuyant sur des études sur le sujet, le Conseil a souligné que les adultes devaient prendre une plus grande part de responsabilité légale et morale que les adolescents dans leurs interactions avec ceux-ci.

Dans sa décision finale, le Conseil a conclu que la plaignante avait subi « l’un des cas les plus légers » du spectre du harcèlement sexuel. Il a en outre déclaré que la plupart des preuves à l’appui des allégations de harcèlement sexuel avaient été amassées en dehors du milieu de travail et ne relevaient pas spécialement de la relation employeur-employée. Au moment de choisir un redressement approprié, le Conseil a déterminé qu’il n’était pas nécessaire d’accorder des dommages-intérêts punitifs dans ce cas. Le constat de discrimination était suffisant en soi et servirait d’exemple pour les autres organisations et entreprises.