**Remarque : Ce document contient de l’information sur des violences sexuelles qui pourrait offenser certains lecteurs.
Madame L. et madame D. (les plaignantes), deux jeunes femmes, travaillaient dans un service de garde. Y travaillaient également madame H., la directrice (et intimée), monsieur G., le directeur adjoint, ainsi qu’une cuisinière, un concierge et une éducatrice. Les deux plaignantes ont porté plainte à la Commission des droits de la personne du Yukon (la Commission), soutenant qu’elles avaient fait l’objet de harcèlement sexuel de la part de monsieur G., que l’intimée était au courant et qu’elle n’avait rien fait pour corriger la situation.
Les plaignantes affirmaient que monsieur G. leur avait adressé des remarques déplacées et offensantes. Madame L. affirmait aussi qu’il lui jetait des regards lubriques et qu’elle se sentait coincée par ses propos, par exemple des commentaires sur son apparence et ses propres organes génitaux. Madame D. a déclaré que monsieur G. lui avait aussi adressé des remarques déplacées, notamment qu’ils pourraient aller s’ébattre dans la neige. Les deux plaignantes ont fait part de leur malaise à monsieur D et ont réglé la question directement avec lui. La présente décision concerne la plainte à l’endroit de madame H.
Pour prendre sa décision, le Conseil d’arbitrage de la Commission des droits de la personne du Yukon (le Conseil) a examiné les dispositions suivantes de la Loi sur les droits de la personne du Yukon (la Loi) :
- l’alinéa 7f), qui interdit la discrimination fondée sur le sexe;
- l’alinéa 9b), qui interdit la discrimination relativement à toute circonstance liée à l’emploi;
- le paragraphe 14(1), qui interdit le harcèlement;
- l’article 35, qui prévoit que l’employeur est responsable des remarques ou des gestes discriminatoires de ses employés, à moins qu’il soit démontré qu’il a essayé de corriger la situation.
Le Conseil s’est référé à l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans l’affaire de harcèlement sexuel qui fait autorité : Janzen c. Platy Enterprises. La Cour avait alors établi que le harcèlement sexuel constitue une forme de discrimination sexuelle, qu’il peut se manifester de manière physique ou psychologique et que, dans une affaire de harcèlement sexuel, les plaignants doivent prouver quatre éléments :
- les remarques ou les gestes étaient de nature sexuelle;
- ils étaient importuns;
- l’auteur des remarques ou actes présumés savait ou aurait dû savoir qu’ils étaient importuns;
- les remarques ou gestes ont eu des effets néfastes dans le milieu de travail et ont eu des conséquences professionnelles négatives.
Premièrement, le Conseil a déclaré que les commentaires, les remarques et les gestes de monsieur G. étaient de nature sexuelle et étaient jugés importuns par les plaignantes. Par ailleurs, le Conseil a déterminé que monsieur G. savait ou aurait dû savoir que son comportement était importun, car les deux plaignantes lui avaient fait part de leur malaise. Par ailleurs, il existait assurément un déséquilibre de pouvoir entre monsieur G. et les plaignantes. En effet, il était leur supérieur hiérarchique, il était plus âgé qu’elles et était de surcroît en position d’influer sur leur situation d’emploi. Enfin, le Conseil a conclu que la conduite de monsieur G avait eu des conséquences professionnelles négatives sur les plaignantes. Après tout, elle a amené les deux à quitter leur emploi. Par conséquent, le Conseil a conclu que la conduite de monsieur G. constituait du harcèlement sexuel et contrevenait aux dispositions 7f), 9b) et 14(1) de la Loi.
Ensuite, le Conseil a déterminé que l’intimée était au courant du comportement de monsieur G. Elle était souvent présente quand il proférait ses remarques ou en entendait parler par d’autres personnes. En choisissant de ne pas intervenir pour y mettre fin, elle a en quelque sorte cautionné ce comportement et n’a rien fait pour éviter qu’il ne se reproduise au service de garde. Par conséquent, le Conseil a conclu que l’intimée avait enfreint l’article 35 de la Loi.
Le Conseil a ensuite déterminé le montant de dommages-intérêts pour atteinte à la dignité, aux sentiments et à l’estime de soi à accorder aux plaignantes. Pour en déterminer le montant, le Conseil prend généralement en compte les facteurs suivants :
- la nature du harcèlement (verbal ou physique);
- le degré d’agressivité et de contact physique manifesté dans le harcèlement;
- sa durée et sa fréquence;
- l’âge et la vulnérabilité de la victime;
- les effets psychologiques du harcèlement sur celle-ci.
Le Conseil a expliqué que les dommages-intérêts ont pour but d’offrir réparation aux victimes de discrimination, et non de punir leurs auteurs. Plus précisément, en vertu du droit relatif aux droits de la personne, cette indemnité a pour but d’aider le plaignant à se retrouver sensiblement dans la situation qui prévalait avant que la discrimination ne se produise. Pour n’avoir rien fait pour mettre fin au harcèlement, l’intimée s’est vu imposer de verser aux deux plaignantes 5 000 $ pour atteinte à la dignité, aux sentiments et à l’estime de soi. Le Conseil a alors pris en compte l’âge et la vulnérabilité des plaignantes, mais aussi le fait que le harcèlement sexuel s’était surtout manifesté sous forme verbale, pendant toute la durée de leur emploi au service de garde.
De plus, le Conseil a ordonné à l’intimée de verser 2 079,50 $ à madame D. et 7 920,00 $ à madame L. pour les revenus qu’elles ont perdus.